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Où va le Mercosur ?

La ministre des Affaires étrangères du Venezuela Delcy Rodriguez  (teleSUR)
La ministre des Affaires étrangères du Venezuela Delcy Rodriguez (teleSUR)

La crise institutionnelle au Mercosur vire à l’impasse. L’Argentine, le Brésil et le Paraguay contestent l’accès du Venezuela à la présidence tournante de l’alliance commerciale. Une crise qui illustre aussi les changements politiques récents dans la région, selon le chercheur Mamadou Lamine Sarr.

 

Par Mamadou Lamine Sarr, Candidat au doctorat en science politique et auxiliaire de recherche au Centre d’études inter américaines , à l’Université Laval à Québec 

En intégrant le Marché commun du Sud (Mercosur) en 2012, le Venezuela – qui traverse actuellement une importante crise politique et sociale – ne s’attendait certainement pas à être à l’origine d’une crise institutionnelle au sein de ce bloc régional. Depuis quelques mois, le Venezuela est la cible de vives critiques de la part de pays membres du Mercosur, à savoir l’Argentine, le Brésil et le Paraguay. Le dernier épisode en date est la contestation de ces trois pays concernant l’accès du Venezuela à la présidence tournante du Mercosur. Contrairement à l’Uruguay, les trois autres pays membres considèrent que le Venezuela ne remplit pas les conditions pour présider le bloc régional. Selon eux, le pays andin porte atteinte à la démocratie et aux droits de la personne, d’autant plus qu’il n’a pas encore signé de nombreuses normes pour être un membre de plein droit du Mercosur, et ce, malgré l’officialisation de son adhésion il y a quatre ans. La question est désormais de savoir si le Mercosur sortira indemne de cette crise institutionnelle.

Un Bloc divisé

Jamais un simple transfert de présidence du Mercosur n’a posé autant de tension entre les pays membres. Comme à chaque fin de semestre, la présidence tournante de l’organisation est attribuée par ordre alphabétique et c’est le Venezuela qui devait l’assurer à la suite de l’Uruguay. Le 29 juillet dernier, le gouvernement uruguayen a 2 publié un communiqué officiel dans lequel il mettait fin à sa présidence du bloc régional et il a souligné qu’il n’existe pas d’arguments juridiques pouvant empêcher le Venezuela de présider le Mercosur. Le Venezuela a immédiatement annoncé qu’il présiderait le bloc jusqu’à la fin de l’année, malgré le boycott de ce qu’il appelle « la Triple Alliance » des gouvernements argentin, brésilien et paraguayen. Les trois pays qui protestent depuis des semaines contre ce transfert ont renouvelé leur opposition et ils considèrent que la présidence du Mercosur est vacante. Selon eux, Caracas ne peut pas représenter l’organisation en raison des graves violations des droits de la personne dont serait responsable le gouvernement du président Nicolas Maduro. De plus, ils reprochent au Venezuela de ne pas encore avoir ratifié l’ensemble des traités nécessaires pour être un membre à part entière du Mercosur, comme le protocole d’Asunción sur la promotion et la protection des droits de l’homme. Pour le Paraguay, le transfert de la présidence tournante n’est pas automatique et doit faire l’objet d’un consensus entre les États membres. Par la voix de son ministre des Affaires étrangères, José Serra, le Brésil a proposé la formation d’un « conseil informel » qui gérerait le bloc jusqu’à la présidence de l’Argentine, qui doit débuter en janvier 2017. C’est donc sans consensus que le Venezuela risque de présider un Mercosur divisé pour les six prochains mois. Au-delà de la question démocratique qui divise les pays membres, la crise institutionnelle du Mercosur illustre également la nouvelle opposition au sein de la région entre les gouvernements de gauche et de droite.

Une crise politique et idéologique

Lorsque le Venezuela adhéra au Mercosur en 2012, la gauche était au pouvoir dans tous les pays membres : Cristina Fernández de Kirchner en Argentine; Dilma Rousseff au Brésil; José Mujica en Uruguay et Hugo Chávez au Venezuela. Le Paraguay était quant à lui suspendu du Mercosur après la destitution par le Sénat du président Fernando Lugo, qui était également de gauche. Cette dimension idéologique ne peut être ignorée quand on sait que le Venezuela a profité de la suspension du Paraguay – dont le nouveau gouvernement s’opposait à son adhésion – pour se joindre au Mercosur, alors qu’il avait obtenu l’appui des autres pays membres, idéologiquement proches de Caracas. Quatre ans plus tard, la situation a changé et des gouvernements ayant des tendances plus conservatrices ont pris le pouvoir avec Mauricio Macri en Argentine, Horacio Cartes au Paraguay et Michel Temer au Brésil. Ce n’est donc pas un hasard si ces trois pays s’opposent à la présidence du Venezuela, contrairement au 3 gouvernement de gauche dirigé par Tabaré Vázquez en Uruguay. Somme toute, la fracture politique et idéologique constitue un facteur illustratif de la crise institutionnelle que traverse le Mercosur et cette opposition avec le Venezuela n’existerait vraisemblablement pas si la gauche était au pouvoir au Brésil et en Argentine.

Le futur incertain du Mercosur

Au vu des positions et des déclarations des différents États membres, l’issue de cette crise s’annonce incertaine. L’Argentine, le Brésil et le Paraguay avaient lancé un ultimatum jusqu’au 12 août dernier au Venezuela en brandissant la menace de la suspension. La situation n’a pas évolué et l’Uruguay a rejeté la dernière proposition brésilienne d’une présidence collégiale. Des réunions des coordinations nationales du bloc sont prévues au courant des prochaines semaines afin de trouver une solution à la question de la présidente tournante, mais l’opposition entre le gouvernement Maduro et ceux du groupe des trois – Argentine, Brésil et Paraguay – demeure vive malgré la proposition du Parlement du Mercosur (Parlasur) d’être le médiateur dans cette crise. Est-ce qu’un changement de régime au Venezuela suffirait à dissiper les tensions entre les États membres ? Assistera-t-on à une désintégration du Mercosur si la crise devait persister ? S’il est difficile de donner des réponses définitives à ces interrogations, la résolution (ou non) de cette crise donnera une indication sur la capacité et la volonté des dirigeants à dépasser leurs différends politiques et idéologiques pour consolider le Mercosur.

Renforcer la coopération régionale

L’Amérique du Sud traverse une récession dont la fin passe entre autres par le renforcement de la coopération économique et commerciale régionale. Par ailleurs, si la négociation de différentes ententes comme l’accord de libre-échange entre le Mercosur et l’Union européenne (UE) – négociations auxquelles ne participe pas le Venezuela, car elles ont été entamées avant l’adhésion du pays au bloc en 2012 — sont importants, les pays du Mercosur ne doivent pas perdre de vue que la consolidation de leurs échanges commerciaux constitue leur priorité et que cela ne peut se faire sans un minimum de consensus politique. Ce consensus sera également nécessaire dans le cadre du rapprochement avec l’autre communauté économique de 4 la région, l’Alliance du Pacifique, quand on sait que les deux organisations ont récemment émis leur volonté de coopérer davantage dans le domaine commercial.